vendredi 7 mars 2014

Les Bergers du CIel


Un petit conte de fée pour égayer vos soirées. Bonne lecture. =)




   *Un soir d'hiver, dans une petite maison, un instant de rêverie prenait vie. Un vieil homme qui semblait vieux comme le monde lui même était assis près d'un feu, une couverture sur les genoux. Il semblait parler avec animation et passion à une ribambelle d'enfants assis devant lui, les yeux écarquillés. Buvant sa tisane d'une main un peu tremblante, il avait cette flamme dans les yeux. Celle des hommes qui parlent pour donner vie à leur histoire.*

-"Encore une papy, racontes-en une autre"
-"Ouais, on veut une autre histoire avant de dormir !"
-"On en veut plein ! Une montagne d'histoires !"

-"Une montagne ?" Il riait doucement. "Je ne sais pas si j'en connais autant... Toujours est il qu'en parlant de ça... Savez-vous d'où viennent les montagnes les enfants ?"

*les enfants se regardèrent déconcertés. Le plus grand se risqua à une explication.*
-"Bah... C'est plein de rochers qui ont été mis en tas à cause des tremblements de terre ?"

-"Ils se sont empilés tout seuls ? Non bien sur !" Le vieil homme se pencha en avant. "Et si je vous disais qu'elles sont vivantes ?"

*Les enfants, sans comprendre, se turent et écoutèrent.*

    -*Il y a bien longtemps, alors que le monde que nous connaissons était encore naissant, de nombreuses créatures se devaient de trouver une place dans le vaste monde qui venait d'être créé. Certaines ont pris fort longtemps pour comprendre quelle était la leur. Ce fut le cas des montagnes. 
Ce que vous considérez comme de simples tas de rochers avaient autrefois bras et jambes, et la cime n'était jadis pas aussi effilée... De véritables titans, des forces de la nature, et des créatures pacifiques par excellence. D'un pas, ils pouvaient franchir des dizaines de lieues ! 
Cependant... ces géants de pierre ne savaient pas pourquoi ils avaient été créés aussi grands et résistants... Ainsi ils déambulaient, sans but, fantastiques et titanesques vagabonds, ayant pour seule compagnie nuages et solitude.
Un jour, l'un d'eux arriva à un village humain, ou du moins ce qu'il en restait... 
Il aperçut bientôt que la population de celui-ci était moribonde, et que les alentours étaient désertiques. Pas une goutte d'eau pour ces malheureux, et ainsi point de nourriture.
Les humains, voyant le colosse arriver de loin, se sont précipités à sa rencontre, convoyant le doyen jusqu'à lui. Ils lui conjurèrent d'aider leur pauvre village, d'apporter de l'eau et de les sauver. 
Le géant, pris de compassion pour ces petits êtres, accepta. Il creusa un énorme trou qu'il remplit d'eau rapportée dans ses mains titanesques. Le village cria au miracle et le comblèrent de remerciements.
Cependant... le lac, sous la chaleur torride de l'endroit, eut tôt fait de s'assécher. Et les hommes se retrouvèrent a nouveau dans la misère. Ils ne tardèrent pas à réclamer à nouveau le géant de pierre, leur si grand bienfaiteur, qui ne tarda pas à revenir
Face au problème, il ne trouvait pas de solution définitive. Il s'assit donc pour réfléchir. Apres plusieurs jours de prostrations, il revint à lui pour constater un phénomène des plus étranges.
La température avait chuté sur le village, qui se trouvait alors à l'ombre de sa stature. Mieux encore. Les nuages, qui jusqu'alors étaient charriés par le vent sur d'autres contrées plus verdoyantes, étaient bloqués par sa masse, et s'amoncelaient devant lui. 
Ainsi, un second miracle advint. Il plut sur le petit village. Ces hommes qui n'avaient jamais vu de pluie dans leur contrée si aride crurent à un tour de magie du géant, et le louèrent à nouveau, l'enjoignant de recommencer des que possible.
Ainsi le géant, tout heureux de sa découverte, comprit comment aider le village. 
Il se redressa de toute sa taille gargantuesque, et se mit à rassembler les nuages, les emmenant au dessus de la ville et les empêchant de repartir de par sa stature. Ainsi, après plusieurs mois, le village devint prospère, les récoltes foisonnant, les hommes vivant paisiblement à l'ombre de la montagne. 
Le géant avait réussi, pour la première fois de sa vie il se sentait important et apprécié. Et ainsi il vit encore aujourd'hui, berger du ciel, charriant les nuages pour permettre à ceux qui en avaient besoin une vie prospère.  Ses semblables ne tardèrent guère à l'imiter, car ils avaient enfin trouvé une place en ce bas monde."

mercredi 30 janvier 2013

L'Heure du Thé




"-On vous souhaite un Joyeux Non-anniversaire !
-A moi !
-A vous !
-Non, à moi !"

...

Une tablée, jonchée de vestiges de fêtes à répétitions. Trois personnages. Deux endormis, l'un vautré sur la table, l'autre caché au creux d'une théière en cuivre.
Le dernier éveillé. Et las.
Un profond soupir s'échappe de ses lèvres fatiguées. Il ôte son chapeau haut-de-forme, en contenant un autre qu'il enlève également, cache un visage fatigué et désabusé dans ses mains. Une odeur de toast beurré émane de ses paumes, rappel de ces tea-time nombreux et fastes. Trop nombreux et trop fastes.
Il respire un grand coup et s'autorise a penser. Au passé, qui a toujours été agrémenté d'un Earl grey et de cette folie contagieuse, au futur qui portera à coup sûr l'empreinte de ce même passé. Un rictus passe brièvement sur le visage du personnage. Peut-on réellement parler de court du temps dans ces conditions ? Que signifie le temps de toute manière, lorsque la seule chose qui rythme le quotidien est l'heure du thé ? Cruel paradoxe et savoureux dilemme. La fête tourne à la monotonie sans équivoque, alors que part dans la brume le reste des souvenirs...
Il relève la tête et sort de sa poche une belle montre à gousset, finement gravée et reliée par une chaine à sa poche. Cassée. Avec un soupir, il la pose sur la table. Sitôt lâchée, le tic tac reprends, et la montre indique vingt-trois heures cinquante. Bientôt l'arrivée de la prochaine journée. Avec un autre soupir, il la range dans sa redingote froissée.
Pourquoi devoir reprendre le lendemain ? N'y a t-il donc aucune alternative à cette sempiternelle débâcle de folie grotesque ?
Non. Il le sait bien. Le sortilège est bien trop puissant, et lui même n'est plus maître de ses actes lorsque l'heure du thé arrive. Lorsque le lendemain arrive.
Il se résigne donc à attendre. Sans même envisager un miracle, sans même envisager une solution. Vaincu.
Il pose donc la tête entre ses deux chapeaux et la marmelade, et attend. Espérant ainsi se reposer et fuir cette mélancolie qui le saisit chaque jour après la fête.

Quelque part, loin dans le brouillard, un clocher sonne minuit. La petite table s'entoure d'une lueur mauve, et les personnages semblent agir comme au sein d'un film qui se rembobine. Jusqu'à revenir à la rengaine tant crainte.

"-On vous souhaite un Joyeux Non-anniversaire !
-A moi !
-A vous !
-Non, à moi !"

...

Le portillon de la petite tonnelle s'ouvre, laissant passer une jeune fille. Trois personnages la regardent arriver. Deux d'un œil exorbité par la folie.
Le dernier envahit d'une certitude.
L'heure du thé est finie.

dimanche 9 décembre 2012

Prélude

Et voici ce qui aurait pu être le début d'une histoire. Si celle-ci perdurera, cette introduction n'y sera pas pour autant. Mais j'ai tout de même estimé que ce n'était pas un écrit voué à l'oubli le plus total et c'est pourquoi il apparaît là. Bonne lecture !





Dorogar




New York - Wall Street



   Au sein d'une tour parmi tant d'autres, une réunion importante avait lieu. Cela se passait dans une vaste salle de conférence immaculée, sur-éclairée. Sur les murs étaient accrochés plusieurs écrans montrant les fluctuations de la bourse en direct, tandis qu'au centre de la salle trônait une immense table circulaire. Douze personnes étaient installées autour de celle-ci tandis qu'une treizième restait debout, près d'un ordinateur muni d'un rétro-projecteur numérique. Toutes les personnes de l'assemblée affichaient le même air désabusé, ennuyé tandis qu'ils suivaient avec un intérêt vague le monologue de la personne restée debout.
   En effet, il était temps au sein de la Milky Way Factory - Une industrie spécialisée en produits laitiers - de licencier des employés. Chaque fin de mois accueillait irrémédiablement ce type de réunion, les finances étant sans cesse plus exigeantes.
   Après son long monologue sur la baisse dramatique des recettes de l'entreprise, l'homme debout éteignit le rétro-projecteur et balaya l'assemblée d'un regard fatigué.
                                                                                                                                    
  " -Bien, nous allons maintenant aborder le problème pour lequel nous sommes tous réunis ici aujourd'hui. En règle générale il ne m'est pas nécessaire de tous vous consulter pour un licenciement de personnel, mais cette fois-ci est exceptionnelle... Ce sera un cadre qui devra quitter notre entreprise."                                      
                                                                                                                                    
   Un sursaut de surprise ébranla l'assemblée. Tandis que les murmures de mécontentement commençaient à monter, l'homme repris sur un ton sans appel :
  
   "-Je suis conscient que la décision est inattendue, mais je ne reviendrais pas sur celle-ci. Nous allons donc..."
  
   Une femme replète, les sourcils froncés, se leva et lui coupa la parole.
  
   "-J'estime une telle mesure bien trop draconienne. Nous avons tous notre utilité au sein de l'entreprise, et il paraît inconcevable qu'un supérieur soit licencié !"
  
   Un brouhaha d'acclamation reçut sa remarque. Avec un sourire en coin elle continua :
  
   "-Oui, nous avons tous une certaine importance, car nous sommes ceux qui permettons a la Milky Way Factory de fonctionner. Je propose donc une alternative... Pourquoi ne pas licencier le gérant de la communication ? Il a toujours été un incapable et un rêveur. Ses spots publicitaires étaient bien trop subtils et onéreux, en plus d'être inefficaces. Voilà ce que l'on obtient à vouloir romancer ! Les clients se désintéressent et ne consomment pas. Je suis prête à assumer son poste et m'engage à créer des publicités qui nous reviendront moins cher et qui attireront les clients plus sûrement ! Et ainsi nous ferons l'économie d'un poste qui n'était au final pas réellement utile."
 
 "-Qu'en pensez vous Directeur ?", demanda-t-elle en plantant ses yeux dans ceux de l'homme debout.

   Celui-ci réfléchit un instant, puis se tourna vers l'assemblée.

   "-Je suis prêt à prendre ce risque, qu'en pensez-vous, vous autres ? J'en appelle à un vote !"


   Une a une, lentement, les mains se levèrent, acquiesçant l'initiative de la femme qui se re-asseya avec un sourire rayonnant.
  
   "-Nous avons donc trouvé une solution a notre problème. Si le fait de sacrifier ce poste peut rétablir nos finances, nous le ferons avec joie. Cette réunion est terminée, je vous remercie de votre présence."
  
   Les supérieurs de la Milky Way Factory se levèrent et rentrèrent chez eux, heureux de garder leur poste. Pas un ne s'inquiétait du sort du responsable en communication, un bouc-emmissaire leur convenait parfaitement puisqu'ils n'étaient pas atteints eux-même.
   Quelque part au sein de cette immense ville de New York, véritable ruche à échelle humaine, un homme se retrouvait au chômage, privé de ses rêves. Un de plus.


   Bienvenue dans un monde moderne, implacable réalité d'une société ou le plus fort écrase le plus faible. Un monde ou le profit est roi, un monde ou l'imagination se retrouve amputée de ses lettres de noblesses, un monde ou la vie devient l'attente de la mort.


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Carnac - Bretagne



   Il fait nuit, les touristes venus des quatre coins du monde afin de visiter les alignements de pierres millénaires sont partis, laissant le lieu uniquement habité par les animaux nocturnes, le vent et les ombres.
   A la lumière de la lune, le lieu baigne dans une atmosphère paisible, intemporelle. Quiconque restant à cet endroit en cet instant aurait l'impression de remonter plusieurs centaines d'années dans le passé, au temps ou les mots "magie" et "mythe" avaient encore une importance.
   Soudain, la cacophonie des animaux nocturnes se dissipe, faisant place à un silence lourd, calme annonciateur de la tempête. Au cœur du site, parmi les armées de menhirs, le vent commence à tournoyer. Doucement d'abord, puis, gagnant en puissance, il forme un vortex. Le vortex devient tourbillon, puis le tourbillon devient peu a peu tornade, soulevant de lourds nuages de poussière. La vitesse s'accroît encore, et encore. Le vent hurle, les pierres profondément fichées dans le sol vacillent, la terre elle-même semble rugir. Au milieu de ce chaos d'éléments, une forme sphérique se matérialise.
  
  
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    ...
    Que suis-je ?
    Les éléments se déchaînent autour de moi - me protègent - tandis que je prends forme.
    Issu de la terre et du vent, mon être se construit, tandis que mon esprit, lentement, est instruit. Par un feu de haine ardente. Chacune des leçons est inculquée d'une manière incroyablement brutale dans ma conscience. Et c'est ainsi que j'apprends la raison de mon existence.
    Une exaltation de connaissance. Plusieurs images se succèdent. Des organismes appelés Humains. De grandes prouesses architecturales, de magnifiques ouvrages manuscrits, des œuvres d'art. Pléthore de découvertes plus incroyables les unes que les autres. Grâce à leur imagination, les humains vont sans cesse plus loin, toujours plus haut.
    Soudain, une déchirure.
    L'élan d'inspiration les poussant en avant s'est éteint, et laisse place à une mélancolie qui m'est incompréhensible. Les croyances, les rêves... s’éteignent comme meurt une flamme, laissant place à un manque d'inspiration, une mort artistique et magique.
    Une immense tristesse m'envahit. Les légendes se tarissent, les croyances se dissipent, l'artiste laisse sa place au calculateur.
    Et la terre sur laquelle ils vivent meurt, à petit feu.
   
    Alors que les éléments se calment autours de moi, un flot de vengeance m'étreint, comme si les vannes d'une colère bouillonnante avaient soudainement sauté afin de laisser déferler leurs eaux dévastatrices. Ma mission - ma volonté - apparaît clairement maintenant. Cette gigantesque masse d'humains n'a plus de raisons d'être désormais. Bien plus que cela, elle est néfaste au monde qui les abrite.
    Destruction et reconstruction. Chaos devenant le terreau d'une terre rétablie. Je serais l'acteur de la création, et ce afin de préserver la vie.
    Je serais Dorogar, le nouveau démiurge.


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   Le vent est maintenant calme. La sphère, elle, émet maintenant une lumière rougeâtre. Dans un craquement, elle s’effrite, puis tombe en morceaux. Peu à peu, ceux-ci se meuvent et s'élèvent dans les airs de façon erratique, formant une véritable nuée de particules disparates et bourdonnantes.
   Une fois complètement formé, le nuage tourne un instant sur lui-même avant de se diriger vers les lueurs de la plus proche ville.


vendredi 21 septembre 2012

Apotheosis


Ce texte est un petit peu spécial, car il découle d'une musique, et ne va pas sans elle. Donc, si vous voulez lire ce texte, mettez la vidéo en marche en même temps, et profitez ( de la musique au moins ).






Je vais vous conter une histoire.
L'histoire d'un voyage, à travers le sable et l'eau. Un passage, à la fois utopique et magique.

C'était une journée ensoleillée. Torride, le désert faisait miroiter ses dunes ocres sous le soleil accablant. Un vent fluet rendait l'air tout juste supportable, et porteur d'une clarté d'espoir, de courage.
Une entité, de stature frêle, telle un mirage prêt à disparaître dans la silice. Il s'agit de son voyage. De son but, fixé et pourtant tellement hypothétique...
De sa quête.
Une écharpe millénaire, tissée dans la trame même de l'univers, ceignait son cou. Grâce à elle et par ses signaux, il pouvait communiquer avec les antiques ruines du désert, et voler tel un nuage emporté par le vent.
Le trajet fut ardu. D'abord de longues marches à travers un désert sans pitié. Une randonnée émaillée des multiples rencontres avec d'autres silhouettes lui ressemblant, ainsi qu'avec d'autres êtres, plus étranges et incompris. Un voyage certes épuisant et dangereux, mais révélant à chaque instant une beauté et une simplicité troublante du monde.
Puis vinrent, en se rapprochant du but, de nouveaux climats, de nouvelles découvertes, de nouvelles rencontres. De nouveaux ennemis apparurent. Le froid d'abord, puis d'antiques protecteurs du but à atteindre.
Ce but d'ailleurs, dont la silhouette ne savait probablement rien, se dévoila, au fur et à mesure du chemin, en même temps que l'histoire des ruines parsemant le monde.
Ainsi, au moment ou les conditions étaient telles que le fait de mettre un pas devant l'autre devenait un calvaire, au moment ou le but même se perdit dans le désespoir et l'incompréhension, la fin du voyage se montra enfin accessible. La silhouette se rua donc vers son destin sans plus attendre, baignée d'une énergie insoupçonnée jusqu'alors.
Quel était-il ce but ? Cet accomplissement ultime de la quête, l'apothéose de la vie de la silhouette ? Pourquoi se donner tant de mal ?

Pour revenir sur ses pas.

Le but de ce voyage... n'était autre que de le recommencer.

C'est alors que la compréhension s'installe. Le chemin... parsemé d'embûches certes... est peut-être plus important que le but. Les rencontres qui l'enrichisse, la beauté qui le transcende... le rendent en réalité trop précieux pour que le but l'interrompt.
Ainsi a pensé la silhouette, et c'est pourquoi elle a effectué ce trajet.
Pour renaître.
Et recommencer le chemin.



jeudi 7 juin 2012

Chroniques de ***




La porte était ouverte.
Retenant un soupir de soulagement, une sombre silhouette se faufila par l'ouverture sans le moindre bruit.
Tout en se déplaçant de la démarche silencieuse des maîtres assassins, Ryald repensait à son ordre de mission.
Assassiner le comte, dérober la clé qu'il portait en permanence sur lui, trouver la cache de son trésor et subtiliser l'Orbe. Une mission simple et bien payée. Pourtant, grâce à un sixième sens hors du commun qui faisait de lui l'un des meilleurs assassins de la confrérie, Ryald avait senti l'anomalie. En effet, selon l'ordre de mission, le hall du manoir devait être vide de gardes et de pièges. S'il n'avait pas opté pour une intrusion par le toit, il ne serait déjà plus de ce monde. Mais l'heure n'était pas aux réminiscences.

Se remémorant le plan du manoir qu'il avait minutieusement étudié, Ryald traversa un couloir obscur, poussa une deuxième porte et arriva dans une antichambre. Il alla jusqu'à la porte qui lui faisait face, plaqua son oreille contre le panneau de bois sombre. Son ouïe fine détecta un son de plume grattant le parchemin. Un sourire étira ses lèvres. La cible se trouvait à l'endroit prévu.
Il se prépara à l'action. IL sortit sa sarbacane, remettant correctement le capuchon dissimulant son visage, puis ouvrit sans un bruit l'huis qui le séparait du comte. L'homme était plongé dans l'écriture frénétique d'une lettre et semblait ne plus avoir conscience de ce qui l'entourait. Vêtu d'une ample tunique rouge brodée d'or, les cheveux gris coupé court, il avait une stature qui semblait jadis athlétique mais qui était à présent voûtée par l'âge, il était à l'image de sa réputation : opulent et impitoyable.
Ryald porta sa sarbacane à ses lèvres, visa la nuque de l'homme et souffla. La fléchette enduite de poison se ficha dans le cou du comte qui s'affala sur son écrit avec un borborygme étouffé.

L'assassin, après avoir vérifié que le pouls de l'homme ne battait plus, lui ferma les yeux et prit la clé qu'il portait à son cou suspendue à une fine chaîne d'argent.
Lui restait à découvrir la cachette des richesses du comte. Il regarda donc la lettre que ce dernier rédigeait afin d'y déceler quelques informations qui lui seraient utiles :



« À Monsieur le Baron Van Usseldorf,

J'aurais souhaité vous écrire dans un contexte plus favorable, malheureusement le temps me manque. En effet, ma vie est menacée depuis que je suis en possession de l'Orbe, et je sens que l'assassin chargé de me tuer ne tardera pas à passer mes défenses. Aussi, mon ami, lisez attentivement ce qui va suivre.
Le monde est devenu fou.
D'anciennes prophéties se réalisent et les... »

La lettre s'arrêtait là dans une tache d'encre. Ryald se permit une minute de réflexion.
Qui était le Baron Von Usseldorf ? Il était vrai que récemment les routes étaient devenues dangereuses. Des gardes impériaux disparaissaient inexplicablement, des rumeurs de monstres sanguinaires circulaient dans la capitale. Malgré ses multiples excursions en dehors des murs de la ville, Ryald n'en avait jamais vu un seul, pourtant il sentait que quelque chose ne tournait pas rond dans ces évènements récents... Après tout, la petite cité de Corrona s'était volatilisée en une nuit! Sans parler des multiples attaques de caravanes qui ont été décimées hommes et bêtes sans que les marchandises n'en soient touchées... Et que penser de...

« - Monsieur le Comte ? »

Une personne se tenait derrière la porte. Sans doute un serviteur. Ryald dégaina sa dague dans un chuintement feutré et se mit en position. Lorsque le domestique, n'entendant pas la réponse qu'il attendait ouvrit la porte, il se figea à la vue du corps inanimé de son maître. L'assassin surgit derrière la porte, plaquant sa main sur la bouche du malheureux et lui trancha la carotide. Un flot de sang jaillit et le domestique s'effondra dans un hoquet de souffrance mêlée de surprise. Malgré sa gorge tranchée, un mot s'échappa de ses lèvres avec son dernier souffle :

« - Erreur... »

Troublé, Ryald lui ferma les yeux puis réalisa l'évidence, il n'avait que trop traîné ! Il prit la lettre, sortit de la pièce et ferma la porte à clé grâce à son nécessaire de crochetage. Ensuite, il chercha dans le vestibule du bureau l'entrée du coffre.
« Dans l'antichambre, une serrure a même le mur, certainement dissimulée » avait dit le commanditaire. Après dix minutes de recherche, il découvrit une cavité derrière un tableau, masquée par une fine plaque de bois peinte qu'il eut tôt fait de briser. Au fond de la cavité, une minuscule ouverture promettait une serrure extraordinairement complexe. L'assassin esquissa un sourire, enfonça la clé dans la serrure et la tourna.
Puis il se jeta en arrière.
Une volée de dards fusèrent a l'endroit ou il se trouvait une seconde plus tôt et se perdirent dans le mur jouxtant celui de la serrure. Remerciant son intuition, Ryald s'approcha et ouvrit la cache qui s'était révélée sous la cavité.

Une sphère d'un vert irisé trônait fièrement sur un coussin de soie violette. De fines volutes ambrées dessinaient des arabesques à l'intérieur du joyau qui irradiait d'une aura émeraude. En dessous de l'Orbe qui reposait sur une étagère se trouvaient de nombreuses pierreries étincelantes, plusieurs coffrets ouvragés par des artisans de renom débordant de pièces d'or et des liasses de parchemins poussiéreux. Ryald sortit une bourse en cuir et s'empara de l'Orbe avant de le ranger dans la bourse sans accorder un regard au reste des richesses.

Alors qu'il refermait la cache des trésors du comte, un léger bruissement, comme un frottement de tissu, lui parvint. Il se retourna vivement et étouffa un cri de surprise.

Trois...monstres - il n'y avait pas de qualification possible pour les horreurs lui faisant face – se tenaient au centre de la pièce qui était vide une seconde plus tôt. Trois assemblages aléatoires de dents, de griffes, d'yeux et d'appendices ayant pourtant une silhouette humanoïde. Leur thorax était recouvert d'un tabard déchiré ayant pour emblème un lion dévorant un serpent. Trois créatures aux yeux d'un rouge sang démoniaque et à la peau d'un vert bleuté maladif.
Trois promesses de mort.
Dans la confusion, l'assassin fut choqué d'abord par le fait que ces aberrations portaient le tabard des gardes de la capitale. Puis la réalité le frappa comme un coup de masse.
Lui, Ryald, l'un des plus grands assassins de la confrérie, allait mourir face à trois monstruosités au cours d'une banale mission de récupération. Un combat a mort face a ces caricatures humanoïdes avec pour seules armes sa dague et sa sarbacane.
Un sourire provocateur apparu sur son visage. Il fléchit les genoux et adopta sa posture de combat rapproché.

« - Venez! »

Avec un rugissement, les trois créatures fondirent sur lui.



Dans un village, dix kilomètres à l'Est du manoir du comte, trois aventuriers se préparaient pour leur prochaine expédition.

lundi 12 mars 2012

He never realised his chance


Il pénétra dans la pièce.
L'ambiance était pesante. La plupart des patients assis sur les chaises en plastique le regardèrent avec curiosité alors qu'il s'avançait sous la lueur blafarde des néons. Il choisit de s'adosser a un mur près d'une table croulante sous de vieux magazines et commença a attendre son tour, patiemment.
Comme le vestibule se vidait lentement, il observa les autres clients - après tout ceux qui requièrent les services d'un psychologue sont bien des gens payant pour un service - en commençant par la personne qui était la plus proche de lui.
Cette dernière, une femme entre deux âges, blonde, avec un sacré embonpoint, était occupée a observer des photos de mannequins sur un magazine haut en couleur. Malgré le fait qu'il s'agissait de toute évidence de photos trafiquées, elle semblait captivée par ces femmes aux courbes parfaites et au regard d'une couleur aussi intense que le orange fluorescent présent sur la couverture de la revue. Plus que captivée d'ailleurs, il semblait au jeune homme qu'elle était au bord des larmes en observant cette beauté irréelle.
-Pourquoi observer un monde qui lui sera a jamais inaccessible ? Se demanda-t-il.

Renonçant a comprendre, il passa a l'observation d'un jeune garçon sur les genoux de sa mère. Le premier semblait avoir autour de six ans et jetait des coups d’œil rapides sur ce qui l'entourait en bougeant frénétiquement la tête, se tortillant pour sauter des genoux de la seconde qui ne quittait pas son fils des yeux, le calmant par des chuchotements fréquents. Lorsque sa mère se penchait sur lui, l'enfant semblait se rasséréner instantanément, comme un mordu de musique classique auquel on aurais fait écouter la septième de Beethoven. De toute évidence, l'enfant semblait être hyperactif.
-Il devrait arrêter le café celui-la… En quoi le psychologue allait-il être utile, a part pour prescrire des calmants? Se dit-il encore.

Il observa ensuite une autre personne assise elle aussi sur une chaise. Un vrai colosse. Les cheveux bruns et la peau burinée par le soleil, son visage renfermé exprimait la lassitude d'une vie ayant vu passé trop d'événements marquants, trop de solitude et d'émotions contradictoires. Trop de trop pour un seul homme en somme. Le titan ne lisait pas, ne regardait personne, se contentait seulement de contempler ses rangers avec un air distrait, vide.
-Qu'a t-il vécu? en tout cas je n'aimerais vraiment pas être a sa place, pauvre gars… pensa a nouveau le jeune homme.

Il posa ensuite son regard sur un homme debout prés de la fenêtre au fond de la salle. Celui ci avait une allure plutôt sportive malgré son âge visiblement avancé. La raison de sa présence dans la salle d'attente d'un psychologue semblait évidente. Les tics qui le secouait de la tête aux pieds, l'une de ses mains tordant un chapeau en laine, l'autre battant une mesure digne d'un morceau de heavy métal sur sa cuisse… Tout semblait indiquer un stress omniprésents.
- Et voila un autre excité…

C'est alors qu'il s'est rendu compte de son cynisme a tout épreuve qui lui collait a la peau depuis un bout de temps déjà. Pourquoi critiquer ces personnes qu'il ne connaissait même pas ? Elles avait certainement autant de raisons que lui de rendre visite a ce - paraissait-il - fameux psychologue. Probablement plus d'ailleurs. Lui ne souffrait pas d'obésité, ni d'hyperactivité ou encore de stress incontrôlable…
Ses problèmes des derniers mois lui revinrent en mémoire sous forme de flashs douloureux et confus. Problèmes d'argent, mal être, chômage… Ce n'était quand même pas pour rien qu'il était dans cette pièce. C'est tout juste s'il se rappelait de cet ami qui lui avait suggéré, un soir ou il tentait une fois de plus de noyer ses problèmes dans l'alcool, d'aller consulter un spécialiste pour tenter de remédier a sa décadence par une phrase subtile du style "Hey vieux, t'as déjà pensé a aller voir quelqu'un ? Je peux te filer une adresse si ça te tente, parce que y'en a marre de te voir dégringoler en chute libre !" . Tout juste également s'il se rappelait avoir bafouillé un "T'as raison…" peu convaincant avant de sombrer dans l'oubli attendu.

Voila donc les raisons de sa présence en ces lieux ou l'expression "mal dans sa peau" prend tout son sens, et voila que soudain ces mêmes raisons lui semble bien fragiles face a cette atmosphère glauque que dégagent la salle d'attente, face a ces gens qui semblent avoir des problèmes quasi-insolubles, eux.
"Quasi-insolubles" ? Voila qu'il se met a penser comme si son cas n'était pas désespéré… Comme s'il avait roulé a travers la moitié de la France pour quelque chose de futile ! Si il n'arrive pas a remonter la pente seul, il doit aller voir quelqu'un qui l'aidera, c'est la logique même…
Mais n'est-ce pas futile de parler de cas désespéré pour une simple séparation de couple ? Par exemple, ce type assis la-bas, il a le désespoir écrit sur le visage, a se demander comment il a eu la force de venir jusqu'ici…
Le jeune homme se rappelle alors de son reflet, le matin même, dans la glace de sa salle de bain : Une tête certes un peu négligée comme le soulignait les cernes bleues et la barbe qui s'épaississait, mais qui était largement plus avenante que celle qu'il observe maintenant, dans cette salle d'attente de l'horreur. Il comprend désormais que sa peine n'est pas une chose insurmontable, que sa vie n'est pas sans espoirs de réussite, et que la seule chose l'empêchant de remonter a la surface des eaux houleuses de sa dépression est sa peur d'entreprendre quelque chose de nouveau.
Il s'autorise a nouveau a balayer la salle du regard, a regarder en face ces gens ayant tous des problèmes les concernant qu'eux et eux seuls - ayant tous l'impression que leurs soucis sont la chose la plus terrible qu'il existe en ce monde - , a regarder en face les raisons de sa déchéance personnelle. LA raison en réalité.
Et voila qu'il repense a cette relation qui l'a détruit de l'intérieur, qui a rongé ses sentiments, son temps, son argent, ses ambitions, sa vie. Il la aimée, elle a joué avec lui. Il a fermé les yeux devant l'évidente indifférence qu'elle éprouvait a son égard, elle en a profité. Une fois qu'elle eu prit tout ce qu'il y avait a prendre, elle le jeta comme on sacrifie un appât aux poissons, avec ses dettes, ses crédits, sa misère et son incompréhension. Ainsi a débutée sa chute dans les eaux sombres de la déprime.

L'évidence s'impose alors a lui avec tant de simplicité qu'il se demande comment il ne pouvait l'avoir réalisée avant. Pourquoi exagérer sa situation a ce point ? Pourquoi se dire que sa vie est fichue alors qu'il a devant soi des personnes qui ont de sérieuses raisons de voir un psy ? Pourquoi penser que sa vie est foutue, alors qu'il ne tient qu'a lui de repartir du bon pied ?

La porte du cabinet s'ouvre dans un grincement sourd et un homme imposant, un sourire engageant aux lèvres, apparait sur le seuil.
- Au suivant ! Monsieur Smith ? Dit-il d'une voix affairée en cherchant le jeune homme des yeux.
Il sort de son état méditatif, encore sous le choc de son illumination, remarque le psychologue qui s'avance déjà vers lui, la main tendu, et esquisse un sourire.
- Bonjour Monsieur, je suis heureux de vous voir, mais je n'ai plus besoin de vos services. Disant ceci, il ouvre son porte-feuille et donne au spécialiste deux billets de vingt euros.
L'homme accepte son due en écarquillant les yeux. En trente ans de carrière, on ne lui avait jamais fait le coup ! Il se sent obligé d'en demander la raison.
- Une raison simple. Votre salle d'attente est plus efficace que vous-même!
Souhaitant une bonne journée a la cantonade, le jeune homme sort du bâtiment en se résumant ce qu'il avait retenu de sa réflexion. Cela tenait finalement en peu de choses.

C'est au cœur de la tourmente que la solution apparait. Avant, elle parait trop éthérée pour vraiment être utile. Après, il est trop tard. "Avant l'heure, ce n'est pas l'heure, après l'heure, ce n'est plus l'heure" disent certains maniaques horaires, ils ne se rendent pas compte de la véritable valeur de cette métaphore. Il peut donc se féliciter d'avoir réaliser ceci avant qu'il soit trop tard et que la situation devienne insoluble.

Pensant ceci, avec la ferme intention de remercier un jour comme il se doit cet ami qui l'a poussé a aller voir ce psychologue, il se rend au kiosque le plus proche, achète un journal et épluche les petites annonces.