lundi 12 mars 2012

He never realised his chance


Il pénétra dans la pièce.
L'ambiance était pesante. La plupart des patients assis sur les chaises en plastique le regardèrent avec curiosité alors qu'il s'avançait sous la lueur blafarde des néons. Il choisit de s'adosser a un mur près d'une table croulante sous de vieux magazines et commença a attendre son tour, patiemment.
Comme le vestibule se vidait lentement, il observa les autres clients - après tout ceux qui requièrent les services d'un psychologue sont bien des gens payant pour un service - en commençant par la personne qui était la plus proche de lui.
Cette dernière, une femme entre deux âges, blonde, avec un sacré embonpoint, était occupée a observer des photos de mannequins sur un magazine haut en couleur. Malgré le fait qu'il s'agissait de toute évidence de photos trafiquées, elle semblait captivée par ces femmes aux courbes parfaites et au regard d'une couleur aussi intense que le orange fluorescent présent sur la couverture de la revue. Plus que captivée d'ailleurs, il semblait au jeune homme qu'elle était au bord des larmes en observant cette beauté irréelle.
-Pourquoi observer un monde qui lui sera a jamais inaccessible ? Se demanda-t-il.

Renonçant a comprendre, il passa a l'observation d'un jeune garçon sur les genoux de sa mère. Le premier semblait avoir autour de six ans et jetait des coups d’œil rapides sur ce qui l'entourait en bougeant frénétiquement la tête, se tortillant pour sauter des genoux de la seconde qui ne quittait pas son fils des yeux, le calmant par des chuchotements fréquents. Lorsque sa mère se penchait sur lui, l'enfant semblait se rasséréner instantanément, comme un mordu de musique classique auquel on aurais fait écouter la septième de Beethoven. De toute évidence, l'enfant semblait être hyperactif.
-Il devrait arrêter le café celui-la… En quoi le psychologue allait-il être utile, a part pour prescrire des calmants? Se dit-il encore.

Il observa ensuite une autre personne assise elle aussi sur une chaise. Un vrai colosse. Les cheveux bruns et la peau burinée par le soleil, son visage renfermé exprimait la lassitude d'une vie ayant vu passé trop d'événements marquants, trop de solitude et d'émotions contradictoires. Trop de trop pour un seul homme en somme. Le titan ne lisait pas, ne regardait personne, se contentait seulement de contempler ses rangers avec un air distrait, vide.
-Qu'a t-il vécu? en tout cas je n'aimerais vraiment pas être a sa place, pauvre gars… pensa a nouveau le jeune homme.

Il posa ensuite son regard sur un homme debout prés de la fenêtre au fond de la salle. Celui ci avait une allure plutôt sportive malgré son âge visiblement avancé. La raison de sa présence dans la salle d'attente d'un psychologue semblait évidente. Les tics qui le secouait de la tête aux pieds, l'une de ses mains tordant un chapeau en laine, l'autre battant une mesure digne d'un morceau de heavy métal sur sa cuisse… Tout semblait indiquer un stress omniprésents.
- Et voila un autre excité…

C'est alors qu'il s'est rendu compte de son cynisme a tout épreuve qui lui collait a la peau depuis un bout de temps déjà. Pourquoi critiquer ces personnes qu'il ne connaissait même pas ? Elles avait certainement autant de raisons que lui de rendre visite a ce - paraissait-il - fameux psychologue. Probablement plus d'ailleurs. Lui ne souffrait pas d'obésité, ni d'hyperactivité ou encore de stress incontrôlable…
Ses problèmes des derniers mois lui revinrent en mémoire sous forme de flashs douloureux et confus. Problèmes d'argent, mal être, chômage… Ce n'était quand même pas pour rien qu'il était dans cette pièce. C'est tout juste s'il se rappelait de cet ami qui lui avait suggéré, un soir ou il tentait une fois de plus de noyer ses problèmes dans l'alcool, d'aller consulter un spécialiste pour tenter de remédier a sa décadence par une phrase subtile du style "Hey vieux, t'as déjà pensé a aller voir quelqu'un ? Je peux te filer une adresse si ça te tente, parce que y'en a marre de te voir dégringoler en chute libre !" . Tout juste également s'il se rappelait avoir bafouillé un "T'as raison…" peu convaincant avant de sombrer dans l'oubli attendu.

Voila donc les raisons de sa présence en ces lieux ou l'expression "mal dans sa peau" prend tout son sens, et voila que soudain ces mêmes raisons lui semble bien fragiles face a cette atmosphère glauque que dégagent la salle d'attente, face a ces gens qui semblent avoir des problèmes quasi-insolubles, eux.
"Quasi-insolubles" ? Voila qu'il se met a penser comme si son cas n'était pas désespéré… Comme s'il avait roulé a travers la moitié de la France pour quelque chose de futile ! Si il n'arrive pas a remonter la pente seul, il doit aller voir quelqu'un qui l'aidera, c'est la logique même…
Mais n'est-ce pas futile de parler de cas désespéré pour une simple séparation de couple ? Par exemple, ce type assis la-bas, il a le désespoir écrit sur le visage, a se demander comment il a eu la force de venir jusqu'ici…
Le jeune homme se rappelle alors de son reflet, le matin même, dans la glace de sa salle de bain : Une tête certes un peu négligée comme le soulignait les cernes bleues et la barbe qui s'épaississait, mais qui était largement plus avenante que celle qu'il observe maintenant, dans cette salle d'attente de l'horreur. Il comprend désormais que sa peine n'est pas une chose insurmontable, que sa vie n'est pas sans espoirs de réussite, et que la seule chose l'empêchant de remonter a la surface des eaux houleuses de sa dépression est sa peur d'entreprendre quelque chose de nouveau.
Il s'autorise a nouveau a balayer la salle du regard, a regarder en face ces gens ayant tous des problèmes les concernant qu'eux et eux seuls - ayant tous l'impression que leurs soucis sont la chose la plus terrible qu'il existe en ce monde - , a regarder en face les raisons de sa déchéance personnelle. LA raison en réalité.
Et voila qu'il repense a cette relation qui l'a détruit de l'intérieur, qui a rongé ses sentiments, son temps, son argent, ses ambitions, sa vie. Il la aimée, elle a joué avec lui. Il a fermé les yeux devant l'évidente indifférence qu'elle éprouvait a son égard, elle en a profité. Une fois qu'elle eu prit tout ce qu'il y avait a prendre, elle le jeta comme on sacrifie un appât aux poissons, avec ses dettes, ses crédits, sa misère et son incompréhension. Ainsi a débutée sa chute dans les eaux sombres de la déprime.

L'évidence s'impose alors a lui avec tant de simplicité qu'il se demande comment il ne pouvait l'avoir réalisée avant. Pourquoi exagérer sa situation a ce point ? Pourquoi se dire que sa vie est fichue alors qu'il a devant soi des personnes qui ont de sérieuses raisons de voir un psy ? Pourquoi penser que sa vie est foutue, alors qu'il ne tient qu'a lui de repartir du bon pied ?

La porte du cabinet s'ouvre dans un grincement sourd et un homme imposant, un sourire engageant aux lèvres, apparait sur le seuil.
- Au suivant ! Monsieur Smith ? Dit-il d'une voix affairée en cherchant le jeune homme des yeux.
Il sort de son état méditatif, encore sous le choc de son illumination, remarque le psychologue qui s'avance déjà vers lui, la main tendu, et esquisse un sourire.
- Bonjour Monsieur, je suis heureux de vous voir, mais je n'ai plus besoin de vos services. Disant ceci, il ouvre son porte-feuille et donne au spécialiste deux billets de vingt euros.
L'homme accepte son due en écarquillant les yeux. En trente ans de carrière, on ne lui avait jamais fait le coup ! Il se sent obligé d'en demander la raison.
- Une raison simple. Votre salle d'attente est plus efficace que vous-même!
Souhaitant une bonne journée a la cantonade, le jeune homme sort du bâtiment en se résumant ce qu'il avait retenu de sa réflexion. Cela tenait finalement en peu de choses.

C'est au cœur de la tourmente que la solution apparait. Avant, elle parait trop éthérée pour vraiment être utile. Après, il est trop tard. "Avant l'heure, ce n'est pas l'heure, après l'heure, ce n'est plus l'heure" disent certains maniaques horaires, ils ne se rendent pas compte de la véritable valeur de cette métaphore. Il peut donc se féliciter d'avoir réaliser ceci avant qu'il soit trop tard et que la situation devienne insoluble.

Pensant ceci, avec la ferme intention de remercier un jour comme il se doit cet ami qui l'a poussé a aller voir ce psychologue, il se rend au kiosque le plus proche, achète un journal et épluche les petites annonces.