mercredi 30 janvier 2013

L'Heure du Thé




"-On vous souhaite un Joyeux Non-anniversaire !
-A moi !
-A vous !
-Non, à moi !"

...

Une tablée, jonchée de vestiges de fêtes à répétitions. Trois personnages. Deux endormis, l'un vautré sur la table, l'autre caché au creux d'une théière en cuivre.
Le dernier éveillé. Et las.
Un profond soupir s'échappe de ses lèvres fatiguées. Il ôte son chapeau haut-de-forme, en contenant un autre qu'il enlève également, cache un visage fatigué et désabusé dans ses mains. Une odeur de toast beurré émane de ses paumes, rappel de ces tea-time nombreux et fastes. Trop nombreux et trop fastes.
Il respire un grand coup et s'autorise a penser. Au passé, qui a toujours été agrémenté d'un Earl grey et de cette folie contagieuse, au futur qui portera à coup sûr l'empreinte de ce même passé. Un rictus passe brièvement sur le visage du personnage. Peut-on réellement parler de court du temps dans ces conditions ? Que signifie le temps de toute manière, lorsque la seule chose qui rythme le quotidien est l'heure du thé ? Cruel paradoxe et savoureux dilemme. La fête tourne à la monotonie sans équivoque, alors que part dans la brume le reste des souvenirs...
Il relève la tête et sort de sa poche une belle montre à gousset, finement gravée et reliée par une chaine à sa poche. Cassée. Avec un soupir, il la pose sur la table. Sitôt lâchée, le tic tac reprends, et la montre indique vingt-trois heures cinquante. Bientôt l'arrivée de la prochaine journée. Avec un autre soupir, il la range dans sa redingote froissée.
Pourquoi devoir reprendre le lendemain ? N'y a t-il donc aucune alternative à cette sempiternelle débâcle de folie grotesque ?
Non. Il le sait bien. Le sortilège est bien trop puissant, et lui même n'est plus maître de ses actes lorsque l'heure du thé arrive. Lorsque le lendemain arrive.
Il se résigne donc à attendre. Sans même envisager un miracle, sans même envisager une solution. Vaincu.
Il pose donc la tête entre ses deux chapeaux et la marmelade, et attend. Espérant ainsi se reposer et fuir cette mélancolie qui le saisit chaque jour après la fête.

Quelque part, loin dans le brouillard, un clocher sonne minuit. La petite table s'entoure d'une lueur mauve, et les personnages semblent agir comme au sein d'un film qui se rembobine. Jusqu'à revenir à la rengaine tant crainte.

"-On vous souhaite un Joyeux Non-anniversaire !
-A moi !
-A vous !
-Non, à moi !"

...

Le portillon de la petite tonnelle s'ouvre, laissant passer une jeune fille. Trois personnages la regardent arriver. Deux d'un œil exorbité par la folie.
Le dernier envahit d'une certitude.
L'heure du thé est finie.