dimanche 9 décembre 2012

Prélude

Et voici ce qui aurait pu être le début d'une histoire. Si celle-ci perdurera, cette introduction n'y sera pas pour autant. Mais j'ai tout de même estimé que ce n'était pas un écrit voué à l'oubli le plus total et c'est pourquoi il apparaît là. Bonne lecture !





Dorogar




New York - Wall Street



   Au sein d'une tour parmi tant d'autres, une réunion importante avait lieu. Cela se passait dans une vaste salle de conférence immaculée, sur-éclairée. Sur les murs étaient accrochés plusieurs écrans montrant les fluctuations de la bourse en direct, tandis qu'au centre de la salle trônait une immense table circulaire. Douze personnes étaient installées autour de celle-ci tandis qu'une treizième restait debout, près d'un ordinateur muni d'un rétro-projecteur numérique. Toutes les personnes de l'assemblée affichaient le même air désabusé, ennuyé tandis qu'ils suivaient avec un intérêt vague le monologue de la personne restée debout.
   En effet, il était temps au sein de la Milky Way Factory - Une industrie spécialisée en produits laitiers - de licencier des employés. Chaque fin de mois accueillait irrémédiablement ce type de réunion, les finances étant sans cesse plus exigeantes.
   Après son long monologue sur la baisse dramatique des recettes de l'entreprise, l'homme debout éteignit le rétro-projecteur et balaya l'assemblée d'un regard fatigué.
                                                                                                                                    
  " -Bien, nous allons maintenant aborder le problème pour lequel nous sommes tous réunis ici aujourd'hui. En règle générale il ne m'est pas nécessaire de tous vous consulter pour un licenciement de personnel, mais cette fois-ci est exceptionnelle... Ce sera un cadre qui devra quitter notre entreprise."                                      
                                                                                                                                    
   Un sursaut de surprise ébranla l'assemblée. Tandis que les murmures de mécontentement commençaient à monter, l'homme repris sur un ton sans appel :
  
   "-Je suis conscient que la décision est inattendue, mais je ne reviendrais pas sur celle-ci. Nous allons donc..."
  
   Une femme replète, les sourcils froncés, se leva et lui coupa la parole.
  
   "-J'estime une telle mesure bien trop draconienne. Nous avons tous notre utilité au sein de l'entreprise, et il paraît inconcevable qu'un supérieur soit licencié !"
  
   Un brouhaha d'acclamation reçut sa remarque. Avec un sourire en coin elle continua :
  
   "-Oui, nous avons tous une certaine importance, car nous sommes ceux qui permettons a la Milky Way Factory de fonctionner. Je propose donc une alternative... Pourquoi ne pas licencier le gérant de la communication ? Il a toujours été un incapable et un rêveur. Ses spots publicitaires étaient bien trop subtils et onéreux, en plus d'être inefficaces. Voilà ce que l'on obtient à vouloir romancer ! Les clients se désintéressent et ne consomment pas. Je suis prête à assumer son poste et m'engage à créer des publicités qui nous reviendront moins cher et qui attireront les clients plus sûrement ! Et ainsi nous ferons l'économie d'un poste qui n'était au final pas réellement utile."
 
 "-Qu'en pensez vous Directeur ?", demanda-t-elle en plantant ses yeux dans ceux de l'homme debout.

   Celui-ci réfléchit un instant, puis se tourna vers l'assemblée.

   "-Je suis prêt à prendre ce risque, qu'en pensez-vous, vous autres ? J'en appelle à un vote !"


   Une a une, lentement, les mains se levèrent, acquiesçant l'initiative de la femme qui se re-asseya avec un sourire rayonnant.
  
   "-Nous avons donc trouvé une solution a notre problème. Si le fait de sacrifier ce poste peut rétablir nos finances, nous le ferons avec joie. Cette réunion est terminée, je vous remercie de votre présence."
  
   Les supérieurs de la Milky Way Factory se levèrent et rentrèrent chez eux, heureux de garder leur poste. Pas un ne s'inquiétait du sort du responsable en communication, un bouc-emmissaire leur convenait parfaitement puisqu'ils n'étaient pas atteints eux-même.
   Quelque part au sein de cette immense ville de New York, véritable ruche à échelle humaine, un homme se retrouvait au chômage, privé de ses rêves. Un de plus.


   Bienvenue dans un monde moderne, implacable réalité d'une société ou le plus fort écrase le plus faible. Un monde ou le profit est roi, un monde ou l'imagination se retrouve amputée de ses lettres de noblesses, un monde ou la vie devient l'attente de la mort.


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Carnac - Bretagne



   Il fait nuit, les touristes venus des quatre coins du monde afin de visiter les alignements de pierres millénaires sont partis, laissant le lieu uniquement habité par les animaux nocturnes, le vent et les ombres.
   A la lumière de la lune, le lieu baigne dans une atmosphère paisible, intemporelle. Quiconque restant à cet endroit en cet instant aurait l'impression de remonter plusieurs centaines d'années dans le passé, au temps ou les mots "magie" et "mythe" avaient encore une importance.
   Soudain, la cacophonie des animaux nocturnes se dissipe, faisant place à un silence lourd, calme annonciateur de la tempête. Au cœur du site, parmi les armées de menhirs, le vent commence à tournoyer. Doucement d'abord, puis, gagnant en puissance, il forme un vortex. Le vortex devient tourbillon, puis le tourbillon devient peu a peu tornade, soulevant de lourds nuages de poussière. La vitesse s'accroît encore, et encore. Le vent hurle, les pierres profondément fichées dans le sol vacillent, la terre elle-même semble rugir. Au milieu de ce chaos d'éléments, une forme sphérique se matérialise.
  
  
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    ...
    Que suis-je ?
    Les éléments se déchaînent autour de moi - me protègent - tandis que je prends forme.
    Issu de la terre et du vent, mon être se construit, tandis que mon esprit, lentement, est instruit. Par un feu de haine ardente. Chacune des leçons est inculquée d'une manière incroyablement brutale dans ma conscience. Et c'est ainsi que j'apprends la raison de mon existence.
    Une exaltation de connaissance. Plusieurs images se succèdent. Des organismes appelés Humains. De grandes prouesses architecturales, de magnifiques ouvrages manuscrits, des œuvres d'art. Pléthore de découvertes plus incroyables les unes que les autres. Grâce à leur imagination, les humains vont sans cesse plus loin, toujours plus haut.
    Soudain, une déchirure.
    L'élan d'inspiration les poussant en avant s'est éteint, et laisse place à une mélancolie qui m'est incompréhensible. Les croyances, les rêves... s’éteignent comme meurt une flamme, laissant place à un manque d'inspiration, une mort artistique et magique.
    Une immense tristesse m'envahit. Les légendes se tarissent, les croyances se dissipent, l'artiste laisse sa place au calculateur.
    Et la terre sur laquelle ils vivent meurt, à petit feu.
   
    Alors que les éléments se calment autours de moi, un flot de vengeance m'étreint, comme si les vannes d'une colère bouillonnante avaient soudainement sauté afin de laisser déferler leurs eaux dévastatrices. Ma mission - ma volonté - apparaît clairement maintenant. Cette gigantesque masse d'humains n'a plus de raisons d'être désormais. Bien plus que cela, elle est néfaste au monde qui les abrite.
    Destruction et reconstruction. Chaos devenant le terreau d'une terre rétablie. Je serais l'acteur de la création, et ce afin de préserver la vie.
    Je serais Dorogar, le nouveau démiurge.


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   Le vent est maintenant calme. La sphère, elle, émet maintenant une lumière rougeâtre. Dans un craquement, elle s’effrite, puis tombe en morceaux. Peu à peu, ceux-ci se meuvent et s'élèvent dans les airs de façon erratique, formant une véritable nuée de particules disparates et bourdonnantes.
   Une fois complètement formé, le nuage tourne un instant sur lui-même avant de se diriger vers les lueurs de la plus proche ville.


vendredi 21 septembre 2012

Apotheosis


Ce texte est un petit peu spécial, car il découle d'une musique, et ne va pas sans elle. Donc, si vous voulez lire ce texte, mettez la vidéo en marche en même temps, et profitez ( de la musique au moins ).






Je vais vous conter une histoire.
L'histoire d'un voyage, à travers le sable et l'eau. Un passage, à la fois utopique et magique.

C'était une journée ensoleillée. Torride, le désert faisait miroiter ses dunes ocres sous le soleil accablant. Un vent fluet rendait l'air tout juste supportable, et porteur d'une clarté d'espoir, de courage.
Une entité, de stature frêle, telle un mirage prêt à disparaître dans la silice. Il s'agit de son voyage. De son but, fixé et pourtant tellement hypothétique...
De sa quête.
Une écharpe millénaire, tissée dans la trame même de l'univers, ceignait son cou. Grâce à elle et par ses signaux, il pouvait communiquer avec les antiques ruines du désert, et voler tel un nuage emporté par le vent.
Le trajet fut ardu. D'abord de longues marches à travers un désert sans pitié. Une randonnée émaillée des multiples rencontres avec d'autres silhouettes lui ressemblant, ainsi qu'avec d'autres êtres, plus étranges et incompris. Un voyage certes épuisant et dangereux, mais révélant à chaque instant une beauté et une simplicité troublante du monde.
Puis vinrent, en se rapprochant du but, de nouveaux climats, de nouvelles découvertes, de nouvelles rencontres. De nouveaux ennemis apparurent. Le froid d'abord, puis d'antiques protecteurs du but à atteindre.
Ce but d'ailleurs, dont la silhouette ne savait probablement rien, se dévoila, au fur et à mesure du chemin, en même temps que l'histoire des ruines parsemant le monde.
Ainsi, au moment ou les conditions étaient telles que le fait de mettre un pas devant l'autre devenait un calvaire, au moment ou le but même se perdit dans le désespoir et l'incompréhension, la fin du voyage se montra enfin accessible. La silhouette se rua donc vers son destin sans plus attendre, baignée d'une énergie insoupçonnée jusqu'alors.
Quel était-il ce but ? Cet accomplissement ultime de la quête, l'apothéose de la vie de la silhouette ? Pourquoi se donner tant de mal ?

Pour revenir sur ses pas.

Le but de ce voyage... n'était autre que de le recommencer.

C'est alors que la compréhension s'installe. Le chemin... parsemé d'embûches certes... est peut-être plus important que le but. Les rencontres qui l'enrichisse, la beauté qui le transcende... le rendent en réalité trop précieux pour que le but l'interrompt.
Ainsi a pensé la silhouette, et c'est pourquoi elle a effectué ce trajet.
Pour renaître.
Et recommencer le chemin.



jeudi 7 juin 2012

Chroniques de ***




La porte était ouverte.
Retenant un soupir de soulagement, une sombre silhouette se faufila par l'ouverture sans le moindre bruit.
Tout en se déplaçant de la démarche silencieuse des maîtres assassins, Ryald repensait à son ordre de mission.
Assassiner le comte, dérober la clé qu'il portait en permanence sur lui, trouver la cache de son trésor et subtiliser l'Orbe. Une mission simple et bien payée. Pourtant, grâce à un sixième sens hors du commun qui faisait de lui l'un des meilleurs assassins de la confrérie, Ryald avait senti l'anomalie. En effet, selon l'ordre de mission, le hall du manoir devait être vide de gardes et de pièges. S'il n'avait pas opté pour une intrusion par le toit, il ne serait déjà plus de ce monde. Mais l'heure n'était pas aux réminiscences.

Se remémorant le plan du manoir qu'il avait minutieusement étudié, Ryald traversa un couloir obscur, poussa une deuxième porte et arriva dans une antichambre. Il alla jusqu'à la porte qui lui faisait face, plaqua son oreille contre le panneau de bois sombre. Son ouïe fine détecta un son de plume grattant le parchemin. Un sourire étira ses lèvres. La cible se trouvait à l'endroit prévu.
Il se prépara à l'action. IL sortit sa sarbacane, remettant correctement le capuchon dissimulant son visage, puis ouvrit sans un bruit l'huis qui le séparait du comte. L'homme était plongé dans l'écriture frénétique d'une lettre et semblait ne plus avoir conscience de ce qui l'entourait. Vêtu d'une ample tunique rouge brodée d'or, les cheveux gris coupé court, il avait une stature qui semblait jadis athlétique mais qui était à présent voûtée par l'âge, il était à l'image de sa réputation : opulent et impitoyable.
Ryald porta sa sarbacane à ses lèvres, visa la nuque de l'homme et souffla. La fléchette enduite de poison se ficha dans le cou du comte qui s'affala sur son écrit avec un borborygme étouffé.

L'assassin, après avoir vérifié que le pouls de l'homme ne battait plus, lui ferma les yeux et prit la clé qu'il portait à son cou suspendue à une fine chaîne d'argent.
Lui restait à découvrir la cachette des richesses du comte. Il regarda donc la lettre que ce dernier rédigeait afin d'y déceler quelques informations qui lui seraient utiles :



« À Monsieur le Baron Van Usseldorf,

J'aurais souhaité vous écrire dans un contexte plus favorable, malheureusement le temps me manque. En effet, ma vie est menacée depuis que je suis en possession de l'Orbe, et je sens que l'assassin chargé de me tuer ne tardera pas à passer mes défenses. Aussi, mon ami, lisez attentivement ce qui va suivre.
Le monde est devenu fou.
D'anciennes prophéties se réalisent et les... »

La lettre s'arrêtait là dans une tache d'encre. Ryald se permit une minute de réflexion.
Qui était le Baron Von Usseldorf ? Il était vrai que récemment les routes étaient devenues dangereuses. Des gardes impériaux disparaissaient inexplicablement, des rumeurs de monstres sanguinaires circulaient dans la capitale. Malgré ses multiples excursions en dehors des murs de la ville, Ryald n'en avait jamais vu un seul, pourtant il sentait que quelque chose ne tournait pas rond dans ces évènements récents... Après tout, la petite cité de Corrona s'était volatilisée en une nuit! Sans parler des multiples attaques de caravanes qui ont été décimées hommes et bêtes sans que les marchandises n'en soient touchées... Et que penser de...

« - Monsieur le Comte ? »

Une personne se tenait derrière la porte. Sans doute un serviteur. Ryald dégaina sa dague dans un chuintement feutré et se mit en position. Lorsque le domestique, n'entendant pas la réponse qu'il attendait ouvrit la porte, il se figea à la vue du corps inanimé de son maître. L'assassin surgit derrière la porte, plaquant sa main sur la bouche du malheureux et lui trancha la carotide. Un flot de sang jaillit et le domestique s'effondra dans un hoquet de souffrance mêlée de surprise. Malgré sa gorge tranchée, un mot s'échappa de ses lèvres avec son dernier souffle :

« - Erreur... »

Troublé, Ryald lui ferma les yeux puis réalisa l'évidence, il n'avait que trop traîné ! Il prit la lettre, sortit de la pièce et ferma la porte à clé grâce à son nécessaire de crochetage. Ensuite, il chercha dans le vestibule du bureau l'entrée du coffre.
« Dans l'antichambre, une serrure a même le mur, certainement dissimulée » avait dit le commanditaire. Après dix minutes de recherche, il découvrit une cavité derrière un tableau, masquée par une fine plaque de bois peinte qu'il eut tôt fait de briser. Au fond de la cavité, une minuscule ouverture promettait une serrure extraordinairement complexe. L'assassin esquissa un sourire, enfonça la clé dans la serrure et la tourna.
Puis il se jeta en arrière.
Une volée de dards fusèrent a l'endroit ou il se trouvait une seconde plus tôt et se perdirent dans le mur jouxtant celui de la serrure. Remerciant son intuition, Ryald s'approcha et ouvrit la cache qui s'était révélée sous la cavité.

Une sphère d'un vert irisé trônait fièrement sur un coussin de soie violette. De fines volutes ambrées dessinaient des arabesques à l'intérieur du joyau qui irradiait d'une aura émeraude. En dessous de l'Orbe qui reposait sur une étagère se trouvaient de nombreuses pierreries étincelantes, plusieurs coffrets ouvragés par des artisans de renom débordant de pièces d'or et des liasses de parchemins poussiéreux. Ryald sortit une bourse en cuir et s'empara de l'Orbe avant de le ranger dans la bourse sans accorder un regard au reste des richesses.

Alors qu'il refermait la cache des trésors du comte, un léger bruissement, comme un frottement de tissu, lui parvint. Il se retourna vivement et étouffa un cri de surprise.

Trois...monstres - il n'y avait pas de qualification possible pour les horreurs lui faisant face – se tenaient au centre de la pièce qui était vide une seconde plus tôt. Trois assemblages aléatoires de dents, de griffes, d'yeux et d'appendices ayant pourtant une silhouette humanoïde. Leur thorax était recouvert d'un tabard déchiré ayant pour emblème un lion dévorant un serpent. Trois créatures aux yeux d'un rouge sang démoniaque et à la peau d'un vert bleuté maladif.
Trois promesses de mort.
Dans la confusion, l'assassin fut choqué d'abord par le fait que ces aberrations portaient le tabard des gardes de la capitale. Puis la réalité le frappa comme un coup de masse.
Lui, Ryald, l'un des plus grands assassins de la confrérie, allait mourir face à trois monstruosités au cours d'une banale mission de récupération. Un combat a mort face a ces caricatures humanoïdes avec pour seules armes sa dague et sa sarbacane.
Un sourire provocateur apparu sur son visage. Il fléchit les genoux et adopta sa posture de combat rapproché.

« - Venez! »

Avec un rugissement, les trois créatures fondirent sur lui.



Dans un village, dix kilomètres à l'Est du manoir du comte, trois aventuriers se préparaient pour leur prochaine expédition.

lundi 12 mars 2012

He never realised his chance


Il pénétra dans la pièce.
L'ambiance était pesante. La plupart des patients assis sur les chaises en plastique le regardèrent avec curiosité alors qu'il s'avançait sous la lueur blafarde des néons. Il choisit de s'adosser a un mur près d'une table croulante sous de vieux magazines et commença a attendre son tour, patiemment.
Comme le vestibule se vidait lentement, il observa les autres clients - après tout ceux qui requièrent les services d'un psychologue sont bien des gens payant pour un service - en commençant par la personne qui était la plus proche de lui.
Cette dernière, une femme entre deux âges, blonde, avec un sacré embonpoint, était occupée a observer des photos de mannequins sur un magazine haut en couleur. Malgré le fait qu'il s'agissait de toute évidence de photos trafiquées, elle semblait captivée par ces femmes aux courbes parfaites et au regard d'une couleur aussi intense que le orange fluorescent présent sur la couverture de la revue. Plus que captivée d'ailleurs, il semblait au jeune homme qu'elle était au bord des larmes en observant cette beauté irréelle.
-Pourquoi observer un monde qui lui sera a jamais inaccessible ? Se demanda-t-il.

Renonçant a comprendre, il passa a l'observation d'un jeune garçon sur les genoux de sa mère. Le premier semblait avoir autour de six ans et jetait des coups d’œil rapides sur ce qui l'entourait en bougeant frénétiquement la tête, se tortillant pour sauter des genoux de la seconde qui ne quittait pas son fils des yeux, le calmant par des chuchotements fréquents. Lorsque sa mère se penchait sur lui, l'enfant semblait se rasséréner instantanément, comme un mordu de musique classique auquel on aurais fait écouter la septième de Beethoven. De toute évidence, l'enfant semblait être hyperactif.
-Il devrait arrêter le café celui-la… En quoi le psychologue allait-il être utile, a part pour prescrire des calmants? Se dit-il encore.

Il observa ensuite une autre personne assise elle aussi sur une chaise. Un vrai colosse. Les cheveux bruns et la peau burinée par le soleil, son visage renfermé exprimait la lassitude d'une vie ayant vu passé trop d'événements marquants, trop de solitude et d'émotions contradictoires. Trop de trop pour un seul homme en somme. Le titan ne lisait pas, ne regardait personne, se contentait seulement de contempler ses rangers avec un air distrait, vide.
-Qu'a t-il vécu? en tout cas je n'aimerais vraiment pas être a sa place, pauvre gars… pensa a nouveau le jeune homme.

Il posa ensuite son regard sur un homme debout prés de la fenêtre au fond de la salle. Celui ci avait une allure plutôt sportive malgré son âge visiblement avancé. La raison de sa présence dans la salle d'attente d'un psychologue semblait évidente. Les tics qui le secouait de la tête aux pieds, l'une de ses mains tordant un chapeau en laine, l'autre battant une mesure digne d'un morceau de heavy métal sur sa cuisse… Tout semblait indiquer un stress omniprésents.
- Et voila un autre excité…

C'est alors qu'il s'est rendu compte de son cynisme a tout épreuve qui lui collait a la peau depuis un bout de temps déjà. Pourquoi critiquer ces personnes qu'il ne connaissait même pas ? Elles avait certainement autant de raisons que lui de rendre visite a ce - paraissait-il - fameux psychologue. Probablement plus d'ailleurs. Lui ne souffrait pas d'obésité, ni d'hyperactivité ou encore de stress incontrôlable…
Ses problèmes des derniers mois lui revinrent en mémoire sous forme de flashs douloureux et confus. Problèmes d'argent, mal être, chômage… Ce n'était quand même pas pour rien qu'il était dans cette pièce. C'est tout juste s'il se rappelait de cet ami qui lui avait suggéré, un soir ou il tentait une fois de plus de noyer ses problèmes dans l'alcool, d'aller consulter un spécialiste pour tenter de remédier a sa décadence par une phrase subtile du style "Hey vieux, t'as déjà pensé a aller voir quelqu'un ? Je peux te filer une adresse si ça te tente, parce que y'en a marre de te voir dégringoler en chute libre !" . Tout juste également s'il se rappelait avoir bafouillé un "T'as raison…" peu convaincant avant de sombrer dans l'oubli attendu.

Voila donc les raisons de sa présence en ces lieux ou l'expression "mal dans sa peau" prend tout son sens, et voila que soudain ces mêmes raisons lui semble bien fragiles face a cette atmosphère glauque que dégagent la salle d'attente, face a ces gens qui semblent avoir des problèmes quasi-insolubles, eux.
"Quasi-insolubles" ? Voila qu'il se met a penser comme si son cas n'était pas désespéré… Comme s'il avait roulé a travers la moitié de la France pour quelque chose de futile ! Si il n'arrive pas a remonter la pente seul, il doit aller voir quelqu'un qui l'aidera, c'est la logique même…
Mais n'est-ce pas futile de parler de cas désespéré pour une simple séparation de couple ? Par exemple, ce type assis la-bas, il a le désespoir écrit sur le visage, a se demander comment il a eu la force de venir jusqu'ici…
Le jeune homme se rappelle alors de son reflet, le matin même, dans la glace de sa salle de bain : Une tête certes un peu négligée comme le soulignait les cernes bleues et la barbe qui s'épaississait, mais qui était largement plus avenante que celle qu'il observe maintenant, dans cette salle d'attente de l'horreur. Il comprend désormais que sa peine n'est pas une chose insurmontable, que sa vie n'est pas sans espoirs de réussite, et que la seule chose l'empêchant de remonter a la surface des eaux houleuses de sa dépression est sa peur d'entreprendre quelque chose de nouveau.
Il s'autorise a nouveau a balayer la salle du regard, a regarder en face ces gens ayant tous des problèmes les concernant qu'eux et eux seuls - ayant tous l'impression que leurs soucis sont la chose la plus terrible qu'il existe en ce monde - , a regarder en face les raisons de sa déchéance personnelle. LA raison en réalité.
Et voila qu'il repense a cette relation qui l'a détruit de l'intérieur, qui a rongé ses sentiments, son temps, son argent, ses ambitions, sa vie. Il la aimée, elle a joué avec lui. Il a fermé les yeux devant l'évidente indifférence qu'elle éprouvait a son égard, elle en a profité. Une fois qu'elle eu prit tout ce qu'il y avait a prendre, elle le jeta comme on sacrifie un appât aux poissons, avec ses dettes, ses crédits, sa misère et son incompréhension. Ainsi a débutée sa chute dans les eaux sombres de la déprime.

L'évidence s'impose alors a lui avec tant de simplicité qu'il se demande comment il ne pouvait l'avoir réalisée avant. Pourquoi exagérer sa situation a ce point ? Pourquoi se dire que sa vie est fichue alors qu'il a devant soi des personnes qui ont de sérieuses raisons de voir un psy ? Pourquoi penser que sa vie est foutue, alors qu'il ne tient qu'a lui de repartir du bon pied ?

La porte du cabinet s'ouvre dans un grincement sourd et un homme imposant, un sourire engageant aux lèvres, apparait sur le seuil.
- Au suivant ! Monsieur Smith ? Dit-il d'une voix affairée en cherchant le jeune homme des yeux.
Il sort de son état méditatif, encore sous le choc de son illumination, remarque le psychologue qui s'avance déjà vers lui, la main tendu, et esquisse un sourire.
- Bonjour Monsieur, je suis heureux de vous voir, mais je n'ai plus besoin de vos services. Disant ceci, il ouvre son porte-feuille et donne au spécialiste deux billets de vingt euros.
L'homme accepte son due en écarquillant les yeux. En trente ans de carrière, on ne lui avait jamais fait le coup ! Il se sent obligé d'en demander la raison.
- Une raison simple. Votre salle d'attente est plus efficace que vous-même!
Souhaitant une bonne journée a la cantonade, le jeune homme sort du bâtiment en se résumant ce qu'il avait retenu de sa réflexion. Cela tenait finalement en peu de choses.

C'est au cœur de la tourmente que la solution apparait. Avant, elle parait trop éthérée pour vraiment être utile. Après, il est trop tard. "Avant l'heure, ce n'est pas l'heure, après l'heure, ce n'est plus l'heure" disent certains maniaques horaires, ils ne se rendent pas compte de la véritable valeur de cette métaphore. Il peut donc se féliciter d'avoir réaliser ceci avant qu'il soit trop tard et que la situation devienne insoluble.

Pensant ceci, avec la ferme intention de remercier un jour comme il se doit cet ami qui l'a poussé a aller voir ce psychologue, il se rend au kiosque le plus proche, achète un journal et épluche les petites annonces.

jeudi 19 janvier 2012

Couteau medieval stylisé.




Participation au concours Claude Nougaro.

 SYMPHONIE FORESTIÈRE

Une heure avant l'aube, il apparaît.

     Emergeant des bancs de brume, une silhouette encapuchonnée progressant souplement entre les fûts centenaires.
     Tout en silence, elle se dirige vers un promontoire rocheux se situant à l'orée de la forêt. Un pas après l'autre. Sérénité.
     Alors qu'elle se rapproche de son but, elle accélère sa marche. Elle ne doit pas arriver trop tard, sa réussite en dépend.
     Une fois arrivée au pied du piton elle jette un oeil inquiet au ciel qui pâlit légèrement. Le soleil approche.
D'une force contrastant avec sa carrure frêle, la silhouette escalade la pierre géante, arrivant prestement au sommet.

     Comme à chaque fois qu'elle se rend à cet endroit, son souffle s'accélère pendant quelques secondes alors qu'elle contemple la mer de feuilles s'étirant sous ses pieds. Une magnifique et ancienne forêt plantée d'une multitude d'essences, regorgeante de bruits, allant du chuchotement des arbres aux hululements stridents des effraies. Vivante.

     Avec une fluidité que prodigue l'habitude, elle sort de son ample vêtement noir un long coffret de bois d'if aux ferrures argentées. Un dessin s'étale sur celui-ci, représentant dans un style déroutant un soleil dévorant une lune dans une spirale qui semble sans fin. Dans le même geste, elle fait apparaitre une clef dorée et l'insère dans une serrure dissimulée sur l'un des bords de la boîte.
     Lorsqu'elle l'ouvre, la lumière lunaire dans le périmètre immédiat de la boîte semble être aspirée à l'intérieur de celle-ci et se recueillir dans l'objet qu'elle contient. La silhouette s'en saisit et, comme à chaque fois, l'observe avec ce qui semble être de la tendresse.
     Une Baguette longue d'une trentaine de centimètres, composée de bois clair et de motifs d'or et de cuivre entrelacés. Une Baguette ressemblant par sa forme à celle d'un chef d'orchestre. Un objet qui semble luire de sa propre lumière, vibrant de magie. Lorsque la silhouette l'empoigne, une douce clarté l'enveloppe malgré son habit noir, illuminant le piton rocheux.

     Décidant qu'il était temps, elle se place au bord de la plate-forme, en face d'un simulacre de pupitre en pierre, frappe trois fois le roc de sa Baguette. Un silence absolu s'installe sur la vaste forêt, prélude au moment tant attendu.
     Elle s'autorise une profonde respiration, jette un dernier regard sur la forêt pétrifiée afin de calmer son cœur qui s'emballe.
     Lève d'un mouvement ample la Baguette.


Accelerando

     Alors que la Baguette se lève lentement, la forêt semble s'animer. Un vent fluet joue dans les feuilles, produisant un son ténu.
     Bien qu'il ne soit pas encore visible, le soleil éclaire petit à petit le ciel, le nimbant de nuances roses et mauves.
      Les créatures nocturnes retournent dans leurs logis, laissant leur place aux animaux diurnes qui commencent à s'éveiller. Le hibou se rendort après un dernier hululement pendant que d'autres volatiles se réveillent.
     Les arbres eux-mêmes semblent sortir d'une certaine léthargie. Au souffle du vent et au bruit des respirations qui s'accélèrent s'ajoute le son Adagio de l'afflux de sève montant dans les arbres, rejoignant feuilles et fruits afin de les faire croître. Le son des racines qui aspirent les sels minéraux des sols riches de la foret pour compenser cet effort s'y ajoute également.
     La lune disparaît derrière l'horizon finalement, en semant une multitude de gouttelettes de rosée qui rappellent ce que fut son emprise. Elle cède son empire d'ombres au soleil, lequel est encore à l'état d'ovale rougeoyant, projetant une faible lumière.             
 
     C'est alors que tout s'accélère.

     L'astre du jour, dans un premier effort, s'extirpe de sa gangue nuageuse et la teinte de rouge sang et de doré. La lumière qui tout à coup s'accentue est capturée, réfractée des milliers de fois et renvoyée par les perles de rosée qui soudain brillent à la manière de pierres précieuses. Une mélodie, comme une symphonie de clochettes de cristal, semble en provenir et prendre son envol lorsque les gouttes iridescentes se délitent sous la chaleur du soleil désormais décidé à chasser les dernières traces de la nuit. Les couleurs environnantes se réchauffent, les bancs de brumes, spectres frémissants sous la chaleur nouvelle, s'élèvent eux aussi et se transforment en nuages, faisant miroiter des arcs-en-ciel, essence même de la lumière du jour.
     Tandis que cette mélodie lumineuse est jouée, les êtres vivants de la forêt s'activent enfin.

     Sur un fond de bourdonnements sourds d'insectes, les oiseaux s'évertuent à enchaîner des airs plus complexes les uns que les autres, tantôt saluant la venue du jour, tantôt communiquant entre eux. Les autres animaux commencent également leurs activités, les uns en quête de nourriture, les autres patrouillant avec application sur leur territoire, d'autres encore faisant leur toilette matinale. Toute cette population animale en mouvement génère une mélopée de bruissements, grognements et rugissements variés.
     Les plantes également, éveillées dès les premiers rayons de soleil grâce au procédé de photosynthèse qui s'est automatiquement mis en marche, participent à la symphonie, bien que dans une mesure plus délicate. Les fleurs éclosent afin de capter de façon optimum la lumière solaire. Les bourgeons s'ouvrent également et donnent naissance à d'autres floraisons. Tout comme les graines qui, fichées dans l'humus primordial, donnent vie à la plante qu'elles contiennent, la laissant enfin s'épanouir à l'air libre.

     Le soleil est désormais complet, sphérique, d'un blanc-jaune éclatant, maître de son monde. L'orchestre est au complet. La silhouette noire continue à faire mouvoir sa Baguette d'un mouvement fluide et harmonieux.
     Le deuxième mouvement peut commencer.



Continuando

     Le soleil poursuit sa révolution implacable autour de son axe. Pendant ce temps, la forêt a gagné de nouvelles couleurs. De l'émeraude et de l'ocre, du jade et parfois du topaze.

     Au sein de cette immensité verdoyante, la vie suit son cours. Chaque animal vaquant à ses occupations quotidiennes tandis que les plantes et autres végétaux continuent de se préoccuper de leur croissance.

     De l'extérieur, la forêt s'apparente à une vaste mer végétale. Des vagues gigantesques créées par le vent qui s'insinue entres les feuilles sont visibles. Les remous causent ainsi un son continu, un lent flux et reflux qui donne une touche de solennité à la scène.
     De l'intérieur, les raies de lumière engendrées par le soleil qui passent entre les feuilles et transpercent la pénombre forestière donnent aux sous-bois une aura mystique. Ici, le vent sur les arbres a un effet de prestidigitateur et les rayons lumineux apparaissent et disparaissent au gré du mouvement des branchages surplombant le sol moussu de la forêt.

     Alors que le temps passe et que l'astre du jour poursuit sa course dans le firmament, de nouveaux sons, plus secrets, plus estinto se font entendre.
     D'abord celui de l'énergie circulant dans la terre, porteuse de vie et symbole de prospérité. Coulant dans le manteau terrestre en grands flots continus, elle apporte cet élément qui différencie le vivant et l'inerte. Un son riche, puissant, et pourtant totalement inaudible au premier abord. Il est la trame de la symphonie, la structure primaire de la mélodie.
     Vient ensuite un chant, un quatuor grandiose qui crée la mélodie principale.
Le Feu, présent dans la chaleur du soleil ainsi que dans les entrailles de la terre, donne une impulsion à la polyphonie et gouverne l'apparition des autres sons.
L'Eau assure la coordination du quatuor et enchaîne les variations avec fluidité.
L'Air s'occupe de la composition de la symphonie et assure à celle-ci une originalité ainsi qu'une qualité sans cesse grandissante.
La Terre, elle, est le pilier du groupe. Elle s'assure qu'aucun son ne fait défaut à la musique créée. Elle est la basse, et accompagne la mélodie en même temps qu'elle la régit.
Ce groupe fantastique mène l'orchestre, et suit les directives de la silhouette.
     Un autre son se fait alors entendre, une pulsation, un battement. Lent. Régulier. Il semble provenir de la forêt entière. C'est alors que l'évidence s'impose: les arbres  
pulsent à l'unisson, à la manière d'un cœur gigantesque. Ils rythment la composition et assurent la mesure.
     Ces sons secrets sont la réelle nature du spectacle. Ils accompagnent les arias jouées par les êtres de la forêt, et les transcendent.

     Des nuages s'amoncellent dans l'azur du ciel, parures de gris qui modifient totalement la scène.
     Le soleil est momentanément dépossédé de son pouvoir et est recouvert par les cumulonimbus. Les nuées colorent le firmament de nuances grises et de ce fait changent les couleurs de la sylve. La lumière dénaturée rend celle-ci plus menaçante et imposante par ses tons foncés.
     Le vent se renforce et l'océan de feuilles devient houleux. Ainsi le sifflement du vent devient vocifération. Le murmure des arbres devient rugissement.

     Les animaux, selon les espèces, se réfugient comme ils le peuvent, se fiant à leurs sens en alerte, ou encore se préparent à une sortie inespérée hors de leur refuge. Les plantes, elles, attendent avec impatience l'événement qui se prépare.

     L'atmosphère se charge petit à petit d'humidité et d'électricité statique tandis que les nuages s'alourdissent. La clarté diminue encore et le premier grondement se fait entendre.
     Après ce changement d'orchestre, la variation survient.

     D'abord une pluie fine. Avec elle les créatures telles que les amphibiens, grenouilles, salamandres et autres batraciens exultent en sortant de leur cachettes pour profiter de ce don du ciel.
     Au loin apparaît un éclair qui marque un crescendo. La pluie devient averse. Le vent devient hurlement. La foudre, en tombant à intervalles irréguliers, masque la pulsation primordiale pour former une trame sonore chaotique. Les arbres se plient sous la puissance des rafales avec quantités de grincements et de craquements, donnant de nouvelles sonorités plus féroces et inventives.
     Cette métamorphose fortuite montre la forêt sous sa forme la plus sauvage, la plus impétueuse, la plus puissante et surtout la plus créatrice. En effet, du chaos engendré survient une nouvelle composition, inattendue, erratique et pourtant mélodieuse. Cependant, cette création musicale est vouée à disparaître car l'improvisation est éphémère, elle retourne ainsi au chaos sitôt l'orage passé, et une nouvelle sera jouée lors de la tempête suivante. Ce cycle est donc sans fin, et en perpétuel changement.

     Après quelque temps, les éléments se calment. Les cumulonimbus partent déverser leur fureur sur d'autres contrées et laissent la sylve trempée et saccagée après ce déchaînement. Puis le soleil revient et reprend possession des lieux.
     Les arbres, sous l'influence vindicative de l'astre du jour se délestent rapidement de l'eau de pluie alourdissant leurs branches tandis que les animaux intervertissent une nouvelle fois leur place, les uns se terrant, les autres allant de nouveau à leurs occupations journalières.
     L'orchestre reprend la mélodie de départ, secoué par l'événement survenu.

     Malgré l'ardeur avec laquelle il a défendu son territoire, le soleil perd de sa vigueur. Il perd de la hauteur et s'enfonce petit à petit vers les limbes de l'horizon.

     La forêt se prépare. La fin de la symphonie approche. Alors que le jour touche à sa fin et la musique avec lui, le regret de la silhouette encapuchonnée semble palpable tandis qu'elle commence à manier la Baguette avec une douceur croissante.




Decrescendo

     L'hymne de la forêt, jusqu'à maintenant, était joué avec ardeur. Les enchaînements s'effectuaient avec légèreté et souplesse tandis que la journée s'écoulait. Tant que le soleil était haut dans le ciel, l'enchantement perdurait, et la musique apparaissait.
     Seulement, cette magie engendrée est éphémère, et la puissance de l'astre du jour finit par diminuer. Ainsi commence l'ultime partie de la symphonie.

     L'agitation des habitants de la forêt, après une journée de labeur, batifolages et autres occupations s'atténue. Les animaux regagnent leur logis et se préparent au repos qu'ils ont mérité.
     Les végétaux, eux, se préparent également aux frimas de la nuit, tantôt fermant leur corolles, tantôt ralentissant leur métabolisme.

      Le vent même, comme dans un élan de solidarité, s'affaiblit jusqu'à disparaitre.
Les sons de la forêt s'éteignent au fur et à mesure que le soleil descend à l'horizon.

     Ce dernier devient écarlate, et la lumière qui en découle s'apparente à celle de l'aube, donnant l'impression d'une seconde naissance du jour.
     Alors qu'il atteint la ligne d'horizon, s'enfonçant peu a peu dans les nuages, ceux-ci luisent d'un rouge rubis. La vision devient alors chimérique, comme provenant d'un autre monde.
     Après ce dernier sursaut d'éclat, le soleil passe de l'autre côté de l'horizon, et la température ainsi que la lumière chutent brutalement.
    
     C'est alors que le peuple nocturne s'éveille. La lune, qui jusqu'à maintenant était masquée par la brillance de son rival éclatant apparaît distinctement dans le firmament qui garde pourtant encore une nuance mauve, résidu de l'apogée solaire. Les étoiles s'allument une à une en commençant par l'étoile polaire. Les constellations se devinent enfin. Cassiopée, la Grande Ourse et Orion se dévoilent dans le ciel nocturne.

     Les dernières couleurs ont disparu, les musiques se sont tues et la forêt n'est plus que nuances de noir et de blancs, cris nocturnes et silence.

     La symphonie est finie.




La silhouette laisse ses bras endoloris pendre le long de son corps haletant, la Baguette dans l'alignement de son bras.
     Une fois de plus, elle a réussi à mener sa mission à bien. La symphonie n'a connu aucune erreur, l'harmonie était parfaite.
     Elle ôte sa capuche pour mieux observer le plafond étoilé et révèle ainsi une figure sans âge, sillonnée de rides. Une courte barbe et de long cheveux argentés reflètent les rayons lunaires.
     L'homme jette un sourire à la lune, lui promettant une nouvelle symphonie, puis range la Baguette dans son coffre d'if, salue avec respect la forêt plongée dans les ténèbres puis entame la descente du piton rocheux.
      Il entre dans la forêt et disparaît dans une écharpe de brume, ne laissant derrière lui qu'une fine musique que seul quelqu'un d'averti pourrait entendre.

Une heure avant l'aube, il apparaît.