jeudi 7 juin 2012

Chroniques de ***




La porte était ouverte.
Retenant un soupir de soulagement, une sombre silhouette se faufila par l'ouverture sans le moindre bruit.
Tout en se déplaçant de la démarche silencieuse des maîtres assassins, Ryald repensait à son ordre de mission.
Assassiner le comte, dérober la clé qu'il portait en permanence sur lui, trouver la cache de son trésor et subtiliser l'Orbe. Une mission simple et bien payée. Pourtant, grâce à un sixième sens hors du commun qui faisait de lui l'un des meilleurs assassins de la confrérie, Ryald avait senti l'anomalie. En effet, selon l'ordre de mission, le hall du manoir devait être vide de gardes et de pièges. S'il n'avait pas opté pour une intrusion par le toit, il ne serait déjà plus de ce monde. Mais l'heure n'était pas aux réminiscences.

Se remémorant le plan du manoir qu'il avait minutieusement étudié, Ryald traversa un couloir obscur, poussa une deuxième porte et arriva dans une antichambre. Il alla jusqu'à la porte qui lui faisait face, plaqua son oreille contre le panneau de bois sombre. Son ouïe fine détecta un son de plume grattant le parchemin. Un sourire étira ses lèvres. La cible se trouvait à l'endroit prévu.
Il se prépara à l'action. IL sortit sa sarbacane, remettant correctement le capuchon dissimulant son visage, puis ouvrit sans un bruit l'huis qui le séparait du comte. L'homme était plongé dans l'écriture frénétique d'une lettre et semblait ne plus avoir conscience de ce qui l'entourait. Vêtu d'une ample tunique rouge brodée d'or, les cheveux gris coupé court, il avait une stature qui semblait jadis athlétique mais qui était à présent voûtée par l'âge, il était à l'image de sa réputation : opulent et impitoyable.
Ryald porta sa sarbacane à ses lèvres, visa la nuque de l'homme et souffla. La fléchette enduite de poison se ficha dans le cou du comte qui s'affala sur son écrit avec un borborygme étouffé.

L'assassin, après avoir vérifié que le pouls de l'homme ne battait plus, lui ferma les yeux et prit la clé qu'il portait à son cou suspendue à une fine chaîne d'argent.
Lui restait à découvrir la cachette des richesses du comte. Il regarda donc la lettre que ce dernier rédigeait afin d'y déceler quelques informations qui lui seraient utiles :



« À Monsieur le Baron Van Usseldorf,

J'aurais souhaité vous écrire dans un contexte plus favorable, malheureusement le temps me manque. En effet, ma vie est menacée depuis que je suis en possession de l'Orbe, et je sens que l'assassin chargé de me tuer ne tardera pas à passer mes défenses. Aussi, mon ami, lisez attentivement ce qui va suivre.
Le monde est devenu fou.
D'anciennes prophéties se réalisent et les... »

La lettre s'arrêtait là dans une tache d'encre. Ryald se permit une minute de réflexion.
Qui était le Baron Von Usseldorf ? Il était vrai que récemment les routes étaient devenues dangereuses. Des gardes impériaux disparaissaient inexplicablement, des rumeurs de monstres sanguinaires circulaient dans la capitale. Malgré ses multiples excursions en dehors des murs de la ville, Ryald n'en avait jamais vu un seul, pourtant il sentait que quelque chose ne tournait pas rond dans ces évènements récents... Après tout, la petite cité de Corrona s'était volatilisée en une nuit! Sans parler des multiples attaques de caravanes qui ont été décimées hommes et bêtes sans que les marchandises n'en soient touchées... Et que penser de...

« - Monsieur le Comte ? »

Une personne se tenait derrière la porte. Sans doute un serviteur. Ryald dégaina sa dague dans un chuintement feutré et se mit en position. Lorsque le domestique, n'entendant pas la réponse qu'il attendait ouvrit la porte, il se figea à la vue du corps inanimé de son maître. L'assassin surgit derrière la porte, plaquant sa main sur la bouche du malheureux et lui trancha la carotide. Un flot de sang jaillit et le domestique s'effondra dans un hoquet de souffrance mêlée de surprise. Malgré sa gorge tranchée, un mot s'échappa de ses lèvres avec son dernier souffle :

« - Erreur... »

Troublé, Ryald lui ferma les yeux puis réalisa l'évidence, il n'avait que trop traîné ! Il prit la lettre, sortit de la pièce et ferma la porte à clé grâce à son nécessaire de crochetage. Ensuite, il chercha dans le vestibule du bureau l'entrée du coffre.
« Dans l'antichambre, une serrure a même le mur, certainement dissimulée » avait dit le commanditaire. Après dix minutes de recherche, il découvrit une cavité derrière un tableau, masquée par une fine plaque de bois peinte qu'il eut tôt fait de briser. Au fond de la cavité, une minuscule ouverture promettait une serrure extraordinairement complexe. L'assassin esquissa un sourire, enfonça la clé dans la serrure et la tourna.
Puis il se jeta en arrière.
Une volée de dards fusèrent a l'endroit ou il se trouvait une seconde plus tôt et se perdirent dans le mur jouxtant celui de la serrure. Remerciant son intuition, Ryald s'approcha et ouvrit la cache qui s'était révélée sous la cavité.

Une sphère d'un vert irisé trônait fièrement sur un coussin de soie violette. De fines volutes ambrées dessinaient des arabesques à l'intérieur du joyau qui irradiait d'une aura émeraude. En dessous de l'Orbe qui reposait sur une étagère se trouvaient de nombreuses pierreries étincelantes, plusieurs coffrets ouvragés par des artisans de renom débordant de pièces d'or et des liasses de parchemins poussiéreux. Ryald sortit une bourse en cuir et s'empara de l'Orbe avant de le ranger dans la bourse sans accorder un regard au reste des richesses.

Alors qu'il refermait la cache des trésors du comte, un léger bruissement, comme un frottement de tissu, lui parvint. Il se retourna vivement et étouffa un cri de surprise.

Trois...monstres - il n'y avait pas de qualification possible pour les horreurs lui faisant face – se tenaient au centre de la pièce qui était vide une seconde plus tôt. Trois assemblages aléatoires de dents, de griffes, d'yeux et d'appendices ayant pourtant une silhouette humanoïde. Leur thorax était recouvert d'un tabard déchiré ayant pour emblème un lion dévorant un serpent. Trois créatures aux yeux d'un rouge sang démoniaque et à la peau d'un vert bleuté maladif.
Trois promesses de mort.
Dans la confusion, l'assassin fut choqué d'abord par le fait que ces aberrations portaient le tabard des gardes de la capitale. Puis la réalité le frappa comme un coup de masse.
Lui, Ryald, l'un des plus grands assassins de la confrérie, allait mourir face à trois monstruosités au cours d'une banale mission de récupération. Un combat a mort face a ces caricatures humanoïdes avec pour seules armes sa dague et sa sarbacane.
Un sourire provocateur apparu sur son visage. Il fléchit les genoux et adopta sa posture de combat rapproché.

« - Venez! »

Avec un rugissement, les trois créatures fondirent sur lui.



Dans un village, dix kilomètres à l'Est du manoir du comte, trois aventuriers se préparaient pour leur prochaine expédition.